"La France a oublié Haïti"
Nicolas Sarkozy a effectué une visite éclair, mercredi 17 février, en Haïti ; une première pour un président français depuis l'indépendance de l'ancienne colonie, en 1804. Christophe Wargny, historien et auteur de Haïti n'existe pas. 1804-2004 : deux cents ans de solitude, estime que la France "a ostracisé son ancienne colonie". Nicolas Sarkozy est arrivé mercredi à Port-au-Prince pour une visite de quelques heures dans la capitale haïtienne. C'est la première fois depuis l'indépendance de l'ancienne colonie française qu'un président de la République se rend en Haïti. Comment expliquer une si longue absence ? Je pense que Nicolas Sarkozy ne serait pas venu à Port-au-Prince s'il n'y avait pas eu le séisme du 12 janvier. Même si sa visite revêt une importance symbolique, elle ne peut pas effacer deux cents ans d'ignorance. Après l'indépendance d'Haïti en 1804, la France a ostracisé son ancienne colonie. Elle l'a isolé politiquement et économiquement, puis elle l'a oublié. Haïti et son peuple de gueux ont complètement disparu de la mémoire coloniale française. A tel point qu'en mars 2000, Jacques Chirac déclarait : "Haïti n'a pas été, à proprement parler, une colonie française." Erreur ou amnésie ? La remarque en dit long sur les rapports de Paris avec l'ancienne "perle des Antilles".
Que s'est-il passé en 1804 ?
Portée par Toussaint Louverture, la révolution haïtienne était un soulèvement de gueux et d'anciens esclaves. Ce sont des "nègres libérés" qui ont bouté l'armée de Napoléon hors de la colonie la plus riche du monde. Ils ont humilié la France civilisatrice. Mais, à l'époque, Saint-Domingue [l'ancien nom d'Haïti] fournissait 50 % du sucre produit à l'échelle mondiale. L'île exportait également de l'indigo et du tabac et elle ne pouvait commercer qu'avec la France. Pour assurer le travail dans les plantations, cinquante mille esclaves étaient "importés" chaque anné. Avant la Révolution française, cela représentait 20 % du commerce triangulaire mondial. Les colons s'enrichissaient énormément puis rapatriaient leurs capitaux en métropole. C'était une économie du très court terme, mais elle était très profitable à la France. Après l'indépendance, de nombreux propriétaires blancs ont été contraints de fuir à Cuba ou vers le sud des Etats-Unis. Ceux qui sont restés ont été massacrés par les troupes du gouverneur Dessalines.
L'indépendance coïncide avec le début des difficultés économiques d'Haïti. La rupture avec la France a-t-elle pesé sur le développement de l'île ?
Bien sûr. D'abord, Haïti a dû indemniser les propriétaires d'esclaves qui avaient perdu leurs biens. En 1825, le président Boyer a accepté sans négocier de rembourser aux anciens colons 150 millions de francs-or. Cela représente à peu près 10 milliards d'euros d'aujourd'hui. Le paiement de cette somme considérable a complètement obéré le développement d'Haïti jusqu'au début du XXe siècle.
Mais le pays a également souffert de l'incapacité des gouvernements successifs à décider d'un modèle économique stable. Aujourd'hui, Haïti est un pays qui importe trois fois plus qu'il n'exporte. Son déficit commercial est béant. Il est à peine compensé par l'aide internationale et les fonds envoyés par la diaspora, qui représentent trois ou quatre fois le budget de l'Etat. S'ajoute également l'argent issu du trafic de drogue qui transite par Haïti en provenance de Colombie vers les Etats-Unis.
Quelles relations entretiennent Haïti et les Etats-Unis ?
Après l'indépendance, les Haïtiens ont pu commercer avec d'autres pays que la France. Malgré la politique esclavagiste de nombreux Etats américains, des rapports commerciaux se sont établis avec l'ancienne colonie française. Les Etats-Unis vendaient aux Haïtiens leurs surplus de blé et achetaient en échange une partie du sucre et du café produits dans l'île. Ils leur ont même fourni des armes.
Washington a reconnu Haïti comme un Etat indépendant pendant la guerre de Sécession. Au début du XXe siècle, Port-au-Prince est secoué par une succession de coups d'Etat. Les Américains intervienennt et colonisent le pays de 1915 à 1934. Encore aujourd'hui, il est clair qu'Haïti appartient à la zone d'influence des Etats-Unis. On estime qu'un peu plus de 800 000 Haïtiens sont installés à New York et Miami. En France métropolitaine et dans les DOM, il ne sont que 120 000.Cette immigration en France prouvent que les liens entre Paris et Port-au-Prince n'ont jamais complètement disparus...C'est vrai, mais ces liens sont restés très ténus. Un grand nombre d'écrivains haïtiens ont vécu en France et avant la seconde guerre mondiale, il était normal que les élites haïtiennes poursuivent leurs études à Paris. Mais la France a été remplacée par le Canada et les Etats-Unis. La France a également fourni de nombreux prêtres à l'île. Bretons pour la plupart, ces religieux ont mené de grandes campagnes pour éradiquer le vaudou et converti massivement la population. Il a fallu du temps et l'arrivée au pouvoir de Duvallier, en 1957, pour que la hiérarchie catholique s'"haïtiannise". Mais aujourd'hui, le catholicisme hérité des anciens colons est concurrencé par les églises pentecôtistes américaines. Aujourd'hui, ces mêmes élites préfèrent partir à Montréal ou Miami.
Propos recueillis par Elise Barthet
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2010/02/17/la-france-a-oublie-haiti_1307419_3222.html#ens_id=1290927
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